Un banquier du nom de Béraldi
Dans le premier tiers du XIIIe siècle, l'évêque Guillaume IV de Cardaillac (1208- 1235) a contracté d'énormes dettes auprès de ces négociants, parfois banquiers, installés à Cahors, et pratiquant l'usure, ces fameux cahorsins. Les revenus de l'évêché n'ont pas suffi à cet homme entreprenant pour subvenir aux dépenses de la guerre contre les Albigeois, des travaux de navigabilité du Lot, des besoins de son église. Alors pour se libérer des uns, il emprunte à d'autres, suivi en cela par ses successeurs comme Géraud de Barasc (1236-1250). Ces « autres » ce sont certains marchands de Cahors en train de s'intégrer à la noblesse quercynoise, notamment Arnaud Béraldi, déjà propriétaire de la Borie de Béral, plus tard Labéraudie. Il s'adressa aussi à sa « bonne ville » de Cahors qui lui avança les sommes nécessaires. En échange, il aliéna durant six années, en faveur des consuls, le droit de battre monnaie, et leur céda le produit des eaux, moulins, ports et payssières* du Lot, depuis Laroque-des-Arcs jusqu'au moulin Saint-James.
* Payssières : sortes de barrages formés de pièces de bois et de rochers, conduisant l'eau sur la roue des moulins et laissant un étroit passage, dit passelis, pour les bateaux.
En 1246, Géraud de Barasc cède à son créancier Béraldi une vaste maison de Pradines, le collège Pélegry à Cahors, et lui donne plusieurs terres en gage, entre autres celles de Pradines. Les sommes prêtées n'ayant jamais été remboursées intégralement, les Béraldi se considèrent comme les maîtres de ces terres et en devinrent les co-seigneurs avec l'évêque. Ils obtinrent en 1266 que le produit des dîmes soit partagé entre le curé et le seigneur. Quelques années plus tard, en 1286, il fut également décidé que la justice de Pradines serait commune entre l'évêque de Cahors et les seigneurs de Labéraudie.
Par la suite les évêques cédèrent aux Béraldi, aussi seigneurs de Cessac (Douelle) le droit de rendre seuls la justice à Pradines sous la réserve d'un hommage assez particulier. En recevant leur nouvel évêque, les Cadurciens rendaient hommage à leur chef temporel, puisque l'évêque était comte de Cahors et seigneur de plusieurs autres villes ou châteaux de Quercy. Même après la Révolution, les évêques ont fait figurer dans leurs armes, la couronne de comte.
Chaque fois qu'un nouvel évêque faisait son entrée solennelle dans Cahors, son cheval serait tenu par un héritier Béraldi, la tête, une jambe et les pieds nus. Ce pouvoir de rendre justice n'était en fait qu'une « délégation » car en droit elle restait un privilège inaliénable de la suzeraineté épiscopale. Ce droit fut d'ailleurs rappelé par une décision de la Chambre du Domaine du 6 février 1671, selon laquelle l'évêque de Cahors, Nicolas de Sevin (1660-1678) a droit de haute, moyenne et basse justice, aussi bien à Pradines que dans les autre châtellenies qui dépendaient de l'évêque.
La situation ne changea pas jusqu'à la Révolution, comme en témoigne le pouillé* du diocèse de 1781 où l'on peut lire à propos de Saint-Martial de Pradines : « ... M. Armand Constans titulaire depuis le 22 janvier 1754 ; Jean Calmon du 24 décembre 1781 ; nombre de communiants 550 ; revenus 1000 L. ; décimateur l'évêque ; collateur du bénéfice Mgr l'Évêque et M. de Cessac co-seigneurs de Pradines... ».
* Pouillé : état des biens et bénéfices ecclésiastiques d'un diocèse, d'une église ou d'un monastère, dressé en général pour le calcul et la perception de redevances fiscales. Les pouillés sont utilisés depuis le Moyen Age.
Désormais, les évêques pouvaient choisir eux-mêmes le curé chargé de pourvoir aux besoins spirituels de leurs vassaux : c'était un avantage très appréciable et la suppression de possibles ennuis.
Les moines d'Englandières
En 1262, l'année qui suit la mort d'Arnaud Béraldi, premier co-seigneur laïque de Pradines, des religieux amenés de Terre Sainte par deux nobles Cadurciens, Eugène et Gilbert de Jean à leur retour de la Septième croisade, vinrent s'établir de l'autre côté du Lot, dans la plaine de Sabrejols, appelée aujourd'hui Englandières (du nom d'un bourgeois de Cahors, Glandières), où leurs protecteurs les installèrent provisoirement. C'étaient des ermites du Mont Carmel que l'invasion musulmane avait chassés d'Orient et qui acceptèrent un refuge en Quercy.
On dit qu'ils vécurent là près de dix ans, dans la prière et la pénitence, faisant répéter jour et nuit aux échos d'alentour les notes du Salve Regina, leur chant de prédilection. C'est peut-être à eux que les habitants de Pradines doivent la belle madone en bois du XIIIe siècle, qu'ils ont appelée Salve Regina.
Les Carmes quittèrent Englandières vers 1272 pour aller se fixer à Cahors dans un grand monastère.